2. L’émotion au service de la survie: fuite, lutte et inhibition de l’action

Précédent: 1. Mécanismes de survie: croissance et défense

Comme nous avons pu l’évoquer précédemment, le stress est un réflexe archaïque de survie. Il  a ainsi conditionné l’évolution des espèces. En effet, dans le milieu animal, il suffit d’une erreur pour mourir face à un danger. Le stress va ainsi développer trois mécanismes de survie qui vont se succéder en fonction des évènements, et notamment du succès ou de l’échec du précédent, en fonction du danger perçu. Ces états vont être contrôlés par le cerveau reptilien ou archaïque décrit par Mac Lean et notamment l’hypothalamus. Ils ont été décrits et vulgarisés par Henri Laborit[1] (en 1976 et 1979).

Expérience de la cage d’inhibition d’Henri Laborit[2] :

  1. Un rat est placé dans une cage à plancher grillagé et séparée en deux compartiments par une cloison, dans laquelle se trouve une porte. Un signal sonore et un flash lumineux sont enclenchés et après quatre secondes un courant électrique est envoyé dans le plancher grillagé. La porte est ouverte. Le rat apprend très vite la relation temporelle entre les signaux sonores et lumineux et la décharge électrique qu’il reçoit dans les pattes. Il ne tarde pas à éviter cette « punition » en passant dans le compartiment adjacent. A peine est-il arrivé que le plancher bascule légèrement et active les signaux et quatre secondes plus tard le choc électrique. Il doit cette fois parcourir le chemin inverse et le jeu de bascule recommence, ainsi que les signaux et le choc électrique. Il est soumis à ce va et vient pendant dix minutes par jour pendant huit jours consécutifs. A l’auscultation, son état biologique est excellent.
  2. Un rat est placé seul dans la cage avec la porte de communication fermée. Le protocole est identique aux précédentes expérimentations. Au huitième jour, les examens biologiques révèlent : une chute de poids importante ; une hypertension artérielle qui persiste plusieurs semaines ; de multiples lésions ulcéreuses sur l’estomac.
  3. Deux rats sont placés dans la cage mais la porte de communication est fermée. Ils vont subir le choc électrique sans pouvoir s’enfuir. Rapidement ils se battent, se mordent et se griffent. Après une expérimentation d’une durée analogue à la phase 1, ils sont auscultés et leur état biologique, à part les morsures et les griffures, est excellent.
Fuite (1), inhibition de l’action (2) et lutte (3)

Constatation : l’animal qui peut réagir par la fuite (expérience n°1), ou par la lutte (expérience n°3) ne développe pas de troubles organiques. L’animal qui ne peut ni fuir ni lutter (expérience n°2) se trouve en inhibition de son action et présente des perturbations pathologiques.

Il en est de même pour l’être humain. Dès qu’il se trouve enfermé, coincé dans une situation sans issue et qu’il ne peut réagir par la fuite ni l’attaque, il se trouve dans une situation qui provoque des symptômes plus ou moins importants selon son état de santé physique et psychique antérieur et la durée de la situation.

Pour compléter:

L’expérience n°3 est à nouveau proposée à un rat avec le même protocole. Chaque jour l’animal isolé est soumis, immédiatement après les dix minutes d’inhibition dans la cage fermée, à un électrochoc convulsivant avec coma. Au bout des huit jours, et malgré l’intensité agressive de l’électrochoc, l’état de santé du rat est excellent.

Dans cette expérience il est démontré que l’électrochoc interdit le passage de la mémoire immédiate, à court terme, à la mémoire à long terme. L’oubli forcé de la situation d’inhibition de l’action est ici, pour le rat, un moyen efficace de sauvegarde face à une situation inhibitrice qui se répète.[3]

Analysons plus précisément ces différents états :

  • La fuite : dès que le danger est détecté, l’organisme se prépare à détaler. Il génère alors une accélération préventive du cœur et de la respiration pour favoriser l’oxygénation des tissus, la dilatation périphérique des petits vaisseaux ou capillaires (vasodilatation qui permet au sang de mieux irriguer les organes périphériques comme les muscles), augmentation du tonus dans les jambes pour mieux courir, attention dispersée et regard fuyant pour cerner les dangers et les issues possibles.
  • La lutte : si la fuite est vaine (par exemple, si l’on n’est pas assez rapide pour fuir le danger), on va se retourner contre l’agresseur, tenter de le repousser, le dissuader. La lutte instinctive n’est pas une attitude offensive comme le sont les attitudes de prédation ou de dominance, sous-tendues par d’autres structures cérébrales.
  • L’inhibition de l’action : si l’on perd le combat, ou si le rapport initial de force semble trop dissuasif pour fuir ou lutter, on bascule vers l’inhibition. Quand l’animal n’est pas encore repéré, l’inhibition lui permet de se rendre (presque) imperceptible : respiration étouffée pour être totalement silencieux (d’où la sensation d’oppression respiratoire), constriction des capillaires sanguins pour économiser la chaleur et l’énergie (d’où la sensation de froid profond), puisqu’il faut désormais « durer », pendant « l’attente en tension », jusqu’à ce que le prédateur parte. Pour économiser l’énergie, le cœur se ralentit, les extrémités se refroidissent, le teint devient blême et des spasmes peuvent apparaître, car la digestion se bloque. L’inhibition sert aussi, sur un plan social primitif, à se soumettre devant un dominant. Ce rituel d’inhibition soulage ce dernier de son besoin de dominance ou simplement lui laisse la priorité pour la consommation de ce qu’il veut : aliments, relations sexuelles, pouvoir, etc. Cet état sert ainsi à abandonner une attitude dangereuse ou à bloquer notre action en situation prolongée de non-contrôle.

Les états d’urgence de l’instinct[4] :

Extrait du mémoire Unité corps-émotion, de la théorie à l’Ostéopathie


[1] Laborit Henri (1914-1995), chirurgien et neurobiologiste français.

[2] Laborit Henri, Mon oncle d’Amérique, extrait, réalisé par Alain Resnais, 1980    

URL : https://www.youtube.com/watch?v=8ubYKgXU5ms

[3] Guinée Robert, Et si les maladies étaient une mémoire de notre évolution ?, Néosanté éditions, 2015, p.38

[4] Fradin Jacques, L’intelligence du stress, Groupe Eyrolles, 2008